Tempérance numérique : pas seulement bon pour la planète, bon pour l'hygiène mentale aussi
Je vois se multiplier les exemples de personnes de ma génération (celle qui a vécu la généralisation/démocratisation d'Internet) qui invitent si ce n'est à la déconnexion totale, en tout cas à une forme de "tempérance numérique".
Il y a évidemment de multiples raisons à cette recherche de "frugalité" ou de sobriété numérique, mais j'en vois deux principales :
- la sobriété numérique est bonne pour la planète
- elle aide à mieux réagir / réfléchir à l'actualité et à résister à la dictature de la "réaction immédiate et déraisonnée"
♻️ La sobriété numérique est bonne pour la planète
Technologie de l'information et consommation de CO2, voilà un vaste débat que je n'ai pas la prétention de traiter ici. Rappelons deux faits importants, qui ne sont PAS contradictoires:
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le numérique consomme beaucoup de CO2 (pour fonctionner, Internet a besoin de nombreux serveurs, routeurs, etc). C'est une des critiques faites à la blockchain, d'ailleurs, dont le principe de fonctionnement exige de la puissance de calcul, et donc la fabrication de processeurs quasi dédiés et de grandes consommations d'électricité.
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le numérique permet d'énormes économies d'énergie : la pandémie mondiale de Covid en 2020 a accéléré l'adoption des outils dits de collaboration, comme Teams ou Zoom. De nombreuses entreprises ont organisé le télétravail de manière pérenne. Et constaté qu'on pouvait faire des économies de déplacements (et donc, de CO2) importantes. Ce constat va se faire au détriment de l'activité "business" des compagnies aériennes ou ferroviaires, mais va indubitablement générer des économies d'énergie importantes.
Comme beaucoup de personnes travaillant dans le domaine IT/Telco, je suis évidemment amené à me poser la question de l'empreinte des technologies que nous commercialisons.
A titre d'exemple, on peut essayer d'analyser l'enchainement des générations de réseaux mobiles (1G, 2G... 5G) par le prisme de l'émission de CO2. De manière un peu caricaturale, le débat est le suivant : 1 Giga-octet transporté dans un réseau 5G produit à terme moins de CO2 qu'un même Giga-octet transporté par un réseau 3G ou 4G. Très bien, c'est une excellente nouvelle. Mais si la 5G incite/amène les utilisateurs à consommer 10 à 100 fois plus de Gige-octets, le bilan final sera défavorable. Est-ce que l'usage des réseaux fixes et mobiles (autrement dit, la "consommation d'Internet") va progressivement se stabiliser et trouver son rythme de croisière ? Et donc avoir un bilan carbone qui après avoir cru significativement, se stabilisera voire repartira à la baisse ?
C'est toute la question...
Notons que le concept de "décroissance" recommandé par certains est de facto en marche dans certains domaines: comme beaucoup d'autres, du fait de la généralisation des visioconférences (et du confinement, concédons-le) , mon bilan carbone professionnel 2020-2021 a été très largement inférieur à celui de 2018-2019 (2 fois moins de kilomètres avec ma voiture, passage de 1 à 0 vol transatlantique, et d'une vingtaine à une dizaine de déplacements nationaux en TGV).
🥺 La tempérance numérique est bonne pour l'hygiène mentale
Je ne vais pas revenir -avec une fausse nostalgie- à l'époque où le débat public se faisait dans le courrier des lecteurs ou les éditos des journaux. Mais rappelons qu'à cette lointaine époque il y avait deux caractéristiques que nous avons perdues avec Internet:
- la responsabilité éditoriale du directeur de publication
- le temps de la réflexion avant publication
Avec les réseaux sociaux, tout ceci a volé en éclat. On est dans l'immédiateté, la profusion.
Avec des conséquences:
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positives sur la liberté et la diversité d'opinions: le moindre post sur twitter (même non polémique) amène partisans et détracteurs dans les secondes qui suivent à exposer leurs avis. Lorsqu'on ne lit que les mêmes journaux ou pas de journaux du tout, on n'assiste pas à des débats aussi contradictoires...
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négatives: toutes les dérives des réseaux sociaux que nous connaissons.
Un peu de tempérance dans ce domaine permet de gagner en sérénité. Frugalité qu'on pourrait formuler comme suit: tourner 7 fois sa réaction dans sa tête avant de cliquer sur "publier".
🕸️ La frugalité appliquée au web
Le web lui-même peut s'appliquer un peu de frugalité. Son usage a largement évolué: quand j'ai fait mes premiers pas sur Internet vers 1995, la plupart des utilisateurs étaient également des "producteurs" (au sens où ils contribuaient par la construction de leur propre site). Aujourd'hui on a un usage moins équilibré: de multiples consommateurs et de moins en moins de producteurs.
La sobriété mentionnée dans ce début d'article peut s'appliquer sur le fond (ai-je besoin de faire aussi souvent le tour de tous mes fils d'actualité, de mon journal Instagram, de tel ou tel site parodique, etc ?). Mais il y a également un enjeu de forme: aujourd'hui chaque site web propose du contenu multimédia, qui rend la moindre connexion extrêmement gourmande en mega-octets transportés (et donc consommés). Pour simplifier et caricaturer, on est passé en 20 ans des pages qui pesaient des kilo-octets à des pages qui consomment des mega-octets. Ça fait juste un facteur 1000...
C'est une des raisons pour lesquelles je trouve l'initiative Gemini intéressante: une alternative au web traditionnel, plus frugal, plus sobre sur la forme, mais du coup davantage concentré sur le fond, et avec des contenus plus légers à transporter sur Internet (cette page pèse 6Ko, soit 1024 fois moins que la page web moyenne en 2021, selon Web Almanac) ...
Bibliographie
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Sur la décision de s'auto-tempérer, voir par exemple l'expérimentation de " Ploum" : Qu'est-ce qu'une déconnexion
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Sur Gemini
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Web Almanac : le poids des pages Web en 2021
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Enquête ARCEP : comparaison des réseaux 4G et 5G en terme de consommation énergétique
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Mon site dans en version Gemini (attention, il faut un navigateur gemini évidemment)