Enjeux et (fausses ?) promesses du Trunk SIP

Ca parait être comme un secret qu'on s'échange entre DSI: "je suis passé au trunk SIP pour faire des économies". Cette formule semble cacher une approche très technologique, pourtant dans la majorité des cas elle est utilisée pour résumer une démarche organisationnelle plus ambitieuse: la centralisation de la téléphonie fixe d'entreprise.

Reprenons depuis le début. Au domicile des particuliers, on a en général une ligne téléphonique et un téléphone. Les entreprises au contraire ont de nombreux téléphones à raccorder sur chacun de leurs sites. Ces téléphones sont connectés à un "standard" appelé PABX ou autocom, qui ressemble de plus en plus à une baie informatique traditionnelle installée dans les locaux techniques de l'entreprise. Ces PABX sont raccordés aux opérateurs au travers d'accès numériques dits "T0" ou "T2". Ce sont des standards normalisés (ISDN en anglais, RNIS en français, et "Numeris" dans le langage de l'opérateur historique) permettant l'émission et la réception de plusieurs communications simultanées. Pour un T2, on parle de 30 communications simultanées, ce qui est bien suffisant la plupart du temps pour un site avec 100 postes téléphoniques.

Les opérateurs alternatifs qui proposent leurs propres raccordements T2 aux entreprises le font par l'intermédiaire d'un accès IP (DSL ou Fibre par exemple), et d'un boitier de conversion entre l'univers "IP opérateur" et l'univers "téléphonie client". Pour assurer la compatibilité avec tous les PABX du marché, le plus simple et le plus fiable consiste en effet à s'appuyer sur les normes de téléphonie "ancestrales" (ISDN).

L'opérateur raccorde le client au travers de son boitier, mais dans son coeur de réseau par contre il transporte la voix sur des réseaux IP au travers d'une technologie appelée "trunk SIP".

Ce qui peut paraître anachronique, c'est que de nombreux PABX du marché sont capables de traiter nativement la téléphonie sur IP. On rencontre donc fréquemment la situation, qui peut paraître ubuesque, suivante: un PABX compatible voix sur IP, est raccordé à une "carte T2" qui convertit la téléphonie sur IP dans le langage ISDN. Cette carte est raccordée à un boitier opérateur qui reconvertit l'univers ISDN vers la voix sur IP pour transporter ensuite la voix en trunk SIP.

Trunk

C'est un peu comme si deux français se parlaient par l'intermédiaire de deux traducteurs qui traduisaient leurs échanges en anglais. On se dit que les deux interlocuteurs pourraient se parler en français directement…

Techniquement, le raccordement direct en "trunk SIP" c'est ça: le PABX de l'entreprise est raccordé en IP au coeur de réseau de l'opérateur sans conversion intermédiaire de la voix sur l'ensemble de la chaîne. Ca parait une bonne idée, même si elle n'est pas dénuée de quelques inconvénients. On peut citer en particulier les sujets d'interopérabilité (le PABX de l'entreprise parle-t-il le "même" SIP que l'opérateur ?), de diagnostic en cas d'incident (si on rencontre un problème de qualité de voix par exemple, le diagnostic est plus compliqué que lorsque un boitier de conversion délimite très précisément les responsabilités respectives client/opérateur), éventuellement les sujets de fraude (enjeux de sécurisation accrus avec Trunk SIP).

Pour différentes raisons, la plupart des opérateurs sérieux proposant une offre de trunk SIP s'appuient sur des raccordements privés (et pas via Internet) et sur des boitiers garantissant l'interopérabilité (boitiers SBC). Au final, un T2 "trunk SIP" est peu ou prou présenté au même tarif qu'un T2 "traditionnel dégroupé".

L'économie ne parait pas spectaculaire... Alors pourquoi donc trunk SIP est il associé dans "l'inconscient collectif des DSI" à une source potentielle d'économies ?

Une première raison est l'apparition d'offres de trunk SIP sur Internet, c'est à dire d'offres permettant de raccorder un PABX à un opérateur au travers du réseau public. Une grosse partie du coût d'un T2 étant lié au lien d'accès, on comprend aisément que si on en fait l'économie en passant par Internet, la baisse des coûts sera bien au rendez-vous. A condition bien sûr de renoncer à toute garantie de qualité de service (taux de disponibilité, qualité de voix, etc)...

Mais ce n'est pas la raison principale qui amène les entreprises à associer trunk SIP et économies. Elle a une autre origine: la centralisation de la téléphonie.

Imaginons une entreprise avec 50 sites en France, de 100 salariés par site. Elle a acheté et maintient 50 PABX et 50 accès T2 (un par site). Par ailleurs depuis quelques années elle a raccordé tous ses sites à son réseau informatique au travers d'un réseau WAN MPLS.

La centralisation de la téléphonie consiste à déployer un PABX central sur un site (bien souvent le siège ou un datacenter), et à y raccorder les 50 sites. On fait ainsi plusieurs économies :

Tout n'est pas rose pour autant: il n'y a pas que des économies, il y a également quelques coûts. Notons la sensibilité du PABX central, qui devra être sécurisé. Par ailleurs la collecte de la voix sur le VPN existant nécessite souvent d'aménager ce VPN (débit, classes de services voix). Parfois il peut être justifié de construire un VPN voix ad hoc.

Comme en général le raccordement central est réalisé avec de nombreux T2, la technologie de prédilection retenue est le... trunk SIP.

C'est donc bien de là que vient le raccourci que l'on rencontre souvent chez les moyennes/grandes Entreprises: la technologie (trunk SIP) est une promesse d'économies. Ce n'est pas tant le raccordement lui même qui permet la baisse des couts, c'est la centralisation de l'architecture. On applique ainsi à la téléphonie ce qui a été fait avec des briques informatiques il y a longtemps. A commencer par la messagerie (mail). La comparaison n'est d'ailleurs pas anodine, quand on sait que Microsoft propose d'associer à sa solution de messagerie Exchange une solution de téléphonie sur IP baptisée LYNC.

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